1996-1998 OEUVRES DE DIANE TREMBLAY
Centre d’art Belgo
du 2 au 31 mai 1998
En parcourant les oeuvres de l’exposition Usure et utilité: objets récents, le public aura sans doute ressenti l’audace de Diane Tremblay à valoriser aujourd’hui, un art où la trace de l’artiste, étroitement liée à la transformation d’un matériau usuel et quotidien, récuse l’intention purement scientifique de fabriquer un objet usiné, de nature high tech, industriel ou virtuel. Ce qui intéresse l’artiste, c’est d’investir sa propre identité en privilégiant un savoir-faire où la technique, au premier abord artisanale, ne vise qu’à nous renvoyer un certain miroir de la réalité et du vécu social. C’est pourquoi les travaux de l’artiste s’inspirent davantage des procédés issus des mouvements tels l’ Arte Povera et le Pattern and Decoration plutôt que le Minimalisme où l’oeuvre, à caractère impersonnel, se détache de toute représentation subjective et individuelle.
En utilisant, par exemple, ses propres vestiges, vêtements ou meubles usés qu’elle récupère, l’artiste affronte et questionne l’aspect éphémère et temporaire de l’existence en vouant à l’objet un pouvoir et une capacité à se mouvoir vers une seconde étape. Transition, survivance, continuité: derrière le matériau altéré et recyclé, c’est bien sur l’individu qui interpelle sa propre métamorphose. Ainsi, si les accessoires et les vêtements se démodent et s’usent, ils s’associent dans le contexte de cette exposition au mode analogue des cycles biologiques et naturels sans cesse en situation de transmutation. L’oeuvre devient un témoin, élevant sa propre matérialité au rang de métaphore de la vie humaine et de son désir de pérennité.
Derrière cette nécessité de faire revivre et de perpétuer, c’est toute la quête du souvenir mnémonique qui est évoquée. D’ailleurs, Diane Tremblay en optant délibérément pour une démarche à caractère artisanal, lie justement le geste créatif à la poursuite et à la prééminence de la vie à travers l’acte traditionnel de nouer et de tisser. ElIe double ce rapport d’un autre sens: celui de la survivance d’une culture à la fois familiale et ancestrale marquée, notamment, par le labeur du travail manuel. Fidèle à son propos et à sa méthode, Diane Tremblay s’approprie cette réalité en plongeant dans l’exploration de sa propre vie. Chaque accessoire a une histoire relative a l’environnement de l’artiste qui, en le transformant en propose une autre image et une autre signification. L’objet quitte ainsi le domaine de l’intime et du privé en devenant un produit culturel connoté et largement rattaché à l’univers d’une collectivité. Au-delà des symboles et des associations interprétatives, les travaux de Diane Tremblay offrent une plasticité à la fois grave et joyeuse, ludique et critique. L’ artiste questionne le rapport de l’objet à l’espace en insistant sur la verticalité des formes, celles-ci le plus souvent supportées par le mur. D’ailleurs, quelques titres reprennent des termes liés au bâtiment tels corniche et gouttière. La matière ficelée et attachée s’érige en une structure où alternent, dans une facture brute, la couleur des tissus et les motifs ainsi créés. Le tableau présent agit comme le miroir du renvoi de la couleur dans la matière.
À travers le travail d’intervention et de modification de ce qui semble inutile et encombrant, la production d’ensemble est caractérisée par des préoccupations omementales et décoratives. Les oeuvres composent une architecture visuelle où les formes organiques se déploient dans une recherche du sens mais aussi en un plaisir esthétique. La réunion de ces deux entités constitue,à notre avis, l’une des qualités premières de cette exposition. Avec cet événement, Diane Tremblay poursuit une réflexion amorcée depuis plus de dix ans lors de sa participation à l’exposition Femmes-Forces au Musée du Québec en 1987. L’ artiste interroge ici, par le biais d’une sculpture allégorique, cette même identité du sujet face à l’histoire et à la mémoire.
Jean Paquin
Paru dans la Revue Vie des arts, No 172, Automne 1998
Chargé de cours au département d’histoire de l’art de l’UQÀM de 1977 à 1985, Jean De Julio-Paquin enseigne au département des arts visuels du Cégep André-Laurendeau depuis 1993. Il est membre du comité de rédaction de la revue Vie des arts et collaborateur à la revue Formes. En 1996, il publie aux Éditions Hurtibise HMH le livre Art, public et société, l’expérience des Maisons de la culture de Montréal. De 1983 à 1988, il a oeuvré à la ville de Montréal à titre de directeur de la Maison de la culture Côte-des-Neiges.