Diane T. Tremblay : la malléabilité de la mémoire

Les artéfacts et les éléments que retravaille, colore, tisse et construit Diane Tremblay font allusion à une mémoire culturelle collective. Ces œuvres d’art, fruits d’un travail laborieux, fusionnent objets appropriés, textiles et matériaux manufacturés (qui sont tous des dérivés de la nature) pour créer d’étranges formes hybrides. L’utilisation des textiles qui prédomine dans l’art de Tremblay est une évolution naturelle des premières peintures et constructions tridimensionnelles que l’on a pu voir dans des expositions telle que Femmes Forces, l’impressionnante exposition d’art contemporain fait par des femmes présentée en 1987 au Musée du québec.

Contrairement aux artiste italiens pd de l’Arte Povera, qui s’appropriaient également des matériaux et juxtaposaient des objets pour faire des déclarations sociales, Tremblay fait allusion au danger qui menace l’identité et la « persona » humaines, et même la culture en général, dans la société contemporaine. C’est le croisement de la culture humaine et de la culture de la nature (que l’on peut lire dans le message sous-jacent au recadrage du langage de la production matérielle) qui donne à l’oeuvre de Tremblay son aura de mystère. Les formes de croissance biomorphiques qu’elle crée font également alllusion à nos origines naturelles et à notre dépendance incessante envers les ressources de la nature, malgré l’effacement de la mémoire et de l’identité qui accompagne le cycle épuisant de production, de fabrication et d’images de la culture contemporaine de consommation.

Lorsque les objets et les éléments « fabriqués », dont plusieurs ont déjà une histoire reconnue en tant que vêtements, objets ménagers, etc., sont retravaillés pour devenir des sculptures murales et des installations, une étrange forme d’altération survient. L’objet est reformulé, ce qui nous oblige à réinterpréter notre première lecture de l’œuvre. Ceci explique l’hybridité inhabituelle de l’art de Tremblay. Nous comprenons et sommes familiers avec l’utilité, l’histoire et le caractère des matériaux que Tremblay retravaille, mais ainsi transformés en énigmes ontologiques, ces matériaux soulèvent des questionnements sur l’identité personnelle de l’expression. Le langage de la fabrication, de la production et de la haute technologie a placé l’imagerie au premier plan au détriment de l’expérience tactile réelle du monde qui nous entoure.

Nous la voyons construire une structure ouverte avec du contreplaqué récupéré dans un chalet de la région du Saguenay. Matériau structurel autrefois fonctionnel, il a été abandonné. Il devient maintenant un « mur » ouvert dont un côté est peint en rose et l’autre en bleu pâle. On retrouve ici des allusions à la dualité yin-yang, mâle et femelle, qui est en chacun de nous. Un œuf elliptique fait à partir des propres vêtements de Tremblay et attaché avec de la ficelle est placé au premier plan, symbole énigmatique et puissant du cycle de la gestation, de la naissance et de la vie. Fait de vêtements mis au rebut, armures autrefois portées sur nos corps pour être ensuite abandonnées, cet « œuf » fusionne l’allégorie personnelle à l’histoire structurelle officielle et sociale des murs qui sont derrière lui. Tant les murs que l’œuf ont été jetés, récupérés et reformés pour acquérir une nouvelle signification.

L’ironie inhérente au fait de prendre quelque chose qui a déjà eu une utilisation ou une fonction pour ensuite le retravailler et lui donner une forme naturelle est intentionnelle. Dans Méduse, par exemple, une méduse a été construite à partir de vêtements, de tapis recyclé et de corde. Des matériaux manufacturés sont utilisés pour représenter une forme biomorphique tridimensionnelle. Dans Mémoire, où Tremblay a collé sur l’armature de métal d’un canapé mis au rancart des centaines de minuscules carrés de papier, colorés à la main avec de l’encre pour créer un effet de vitrail, l’aspect minutieusement laborieux de l’art de Tremblay devient presque grotesque. Une structure de soutien faite de vieux stores a également été tissée à l’arrière de Mémoire. En un sens, Tremblay déconstruit des matériaux préfabriqués et les refabrique en allégories de la contemporanéité, cernant la façon dont nos mémoires et nos identités nécessitent une forme d’effacement née de la production, du remplacement et du déplacement incesssants des objets, des matériaux et des gens dans la société contemporaine de consommation. Tremblay joue avec l’ambiguïté essentielle de la « persona » sociale, en présentant simultanément plus d’un sens dans la reformation inlassable de matériaux en objets d’art.

John K. Grande

traduction: Monique Crépault

Texte inédit


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