DIANE T. TREMBLAY
LA PIÈCE
École Nationale de Théâtre
Du 26 mai au 7 juin 1987
Franchir le mur de la contemplation silencieuse, matérialiser I’imaginaire en trois dimensions, affirmer ainsi le mouvement du geste créateur. Engager le «voyeur» dans la reconstruction d’une aventure intime. Des pistes, des traces, des balises, des objets, des images d’un sens à peine connu de qui les livre, s’eclairant et s’occultant dans un jeu de ressac. Savoir, ne plus savoir, retenir entre ses doigts, laisser filer, reprendre, oublier. Rester là devant, s’y projeter, écouter, chercher I’anecdote, se surprendre à glisser. Revenir.
Une Pièce à double sens: les 6e et 7e de la seconde catégorie des significations répertoriées par monsieur Robert – chez lui, l’ouvrage dramatique précède I’espace d’habitation cloisonné. Double Pièce. Une intrigue s’inscrit dans un lieu. Une femme, à l’avant-plan, sommeille, léchée par une eau intruse. Une table, dessus, des choses, c’est flou. Derrière, une autre femme, peut-être la même. Au fond, deux chaises de cuisine vides, l’image seulement. Sur les murs, en surimpression, des nuages. La lumière du jour entre à fiot. Il y aurait là, nous dit la voix de l’artiste, deux personnes, un homme, une femme, qui se parlent d’amour. Témoin, cette autre femme, qui peut tout bouleverser si seulement ils savaient qu’elle est là. Mais peut-être n’y est-elle pas vraiment, rêverie de celle qui dort, assise, à l’avant-plan, seule. Assise comme l’autre, derrière, invisible, qui n’est pas seule. Le temps passe. Dans le corps, l’émotion, à grand trait rouge, plus prégnante. L’espace de la maison, revêtu des couleurs intérieures. Et l’histoire se répète, à l’infini. Sans milieu, sans commencement, inépuisable.
Le temps court et revient sur ses pas, la matière s’offre au regard, presque au toucher. A mi-chemin entre le tableau en aplat et la performance des vivants, l’installation, timidement, sans obliger personne, intervient dans l’ordre du monde. Les objets en deux dimensions accrochés quelque part forcent l’attention, plusieurs instants, se laissent oublier, mais n’en dérangent pas moins pour toujours. Les humains en représentation transportent ailleurs et soulèvent d’éphémères vagues de fond. La Pièce, vingt-huit jours, de par son existence même dans un lieu circonscrit, reconnaissable et transformé, trouble.
Comme un auteur son texte, comme un comédien ce qu’il rend d’un personnage, Diane Tremblay habite La Pièce. Elle y retrouve ses univers mélangés, la nature première, la ville apprivoisée. Un intérêt, tout récent, pour l’autoportrait. L’écriture, inséparable de peindre et de construire.
Une de ses toiles est sur tous les murs d’affichage sauvage de Montréal: elle a connu l’étrange destin de devenir affiche. Voyez l’ombre du personnage: elle est lumineuse. Apparue là par hasard, une superbe métaphore du théatre et de la vie.
Aline Gélinas
Publié dans le Catalogue Festival de Théâtre des Amériques,1987
Au cours de sa carrière, Aline Gélinas a été directrice de l’Agora, auteure et critique pour les journaux La presse et Voir. Elle a aussi assuré la direction artistique du documentaire sur la danse au Québec, «Corps à corps», réalisé par Jean Claude Burger.